Odette est partie au ciel juste avant le début de la messe dominicale du 5 novembre 2023 à l’église Sainte Croix de Sierre, en Suisse. Voici un hommage imaginé à partir des paroles prononcées par le curé et des faits qui se sont déroulés sous les yeux de l’auteur.
Se préparer
Comme chaque dimanche, Odette se prépare pour la messe. Comme disait sa propre mère, malgré la vieillesse, il ne faut pas dépareiller le paysage, très beau, ici, les Alpes enneigées ceinturant de leur écrin la vallée du Rhône. Odette s’habille donc avec gaité, et même une touche de fantaisie, n’oubliant ni ses boucles d’oreille rouge, ni son chapeau, ni son châle. Elle enfile péniblement son lourd manteau pour affronter les faibles 2 degrés du dehors, indiqués par le thermomètre électronique installé par ses enfants, sous le ciel gris dans lequel il a neigé la veille pour la première fois depuis l’hiver passé. Ce matin du 5 novembre 2023, Odette se sent un peu plus fatiguée que d’habitude, comme déjà depuis plusieurs semaines : le poids des années se fait sentir, et surtout l’arthrose de ses jambes. Mais elle ne se laisse pas décourager. Elle prendra ses cannes de marche, pour ne pas glisser, et elle ira à la messe, pour honorer son rendez-vous dominical avec Jésus. Depuis plusieurs mois maintenant, elle a découvert le bienheureux Calo Acutis, dont l’une des paroles fortes est l’« eucharistie est l’autoroute pour le ciel ». Et comme elle souhaite un jour, ni dans trop longtemps, ni trop vite non plus, aller au Paradis, elle essaye de vivre sa messe de manière la plus recueillie, la plus intime possible avec le Christ, qu’elle côtoie depuis sa plus tendre enfance, depuis sa première communion, plus exactement. Alors pour rien au monde, elle serait en retard à ce rendez-vous avec Jésus. Surtout qu’être à l’heure, celle des montres suisses, c’est un peu aussi la devise de son pays, qu’elle aime aussi honorer.
Le départ
« C’est presque l’heure », se dit-elle en claquant la porte de sa grande maison vide à l’allure de chalet, sans même donner un tour de clef. Voilà déjà plusieurs décennies que ses enfants sont partis vivre leur propre vie. Chaque fois qu’elle va communier, elle pense à son mari, ainsi que chacun de ses enfants, petits-enfants, dans ses prières. « Oh, se dit-elle, quelques uns sont venus me voir à la Toussaint, et je les reverrai sans doute presque tous à Noël, qui est déjà dans moins de deux mois, maintenant… il faudra penser aux cadeaux ». Il est dix heures dix, il faut qu’elle hâte le pas, surtout si elle veut avoir le temps de dire un premier bonjour à ses vieilles amies paroissiennes, et de se recueillir un peu avant la messe. Voici déjà l’église, au bout de la rue. Encore un petit effort… « C’est que j’ai même un point de côté, se dit-elle, si ça continue il faudra peut-être que j’aille voir le docteur Schwert. »
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« Odette vient de nous quitter sous nos yeux »
En pénétrant dans l’église, le curé lui tend une main vigoureuse : « Bienvenue, Odette. » Odette jette un rapide coup d’œil à sa montre : 10h23. « Ouf, je suis bien à l’heure pour mon rendez-vous avec Jésus », se dit-elle, heureuse. Quelques pas encore, allée de gauche dans la nef cette église moderne et circulaire sans colonnes, aux tons bleutés de la Vierge Marie. « Voici mon banc, je vais enfin me reposer un peu auprès du Seigneur ». Encore un pas. Soudain, tout bascule, c’est le trou noir. Odette s’effondre. Ses cannes de marche viennent rebondir sur le sol de pierres des montagnes. « Oh ! » s’écrient ses voisins, qui se précipitent vers elles. Les secours sont appelés. Un paroissien, sans doute samaritain – c’est ainsi que s’appellent en Suisse les secouristes bénévoles (1) – pense à un malaise et la met en position latérale de sécurité. Très vite, il voit qu’Odette ne réagit plus. Respire-t-elle ? La poitrine ne se soulève pas. Pas de pouls. En une seconde, il l’allonge sur le dos et commence un massage cardiaque alterné du bouche à bouche. L’assemblée retient son souffle, celui qu’Odette n’a pourtant déjà plus. Certains se mettent à genoux et commencent un discret chapelet. Chantal, ma voisine, prie sainte Rita, une petite prière manuscrite déposée intentionnellement sur le banc. D’autres encore prient les saints anges gardiens, tous les saints et fidèles défunts que nous venons de fêter, d’autres aussi jettent des regards vers Odette… de l’espoir, de la crainte… Les secondes s’écoulent, interminables. Que font les secours ? Ils doivent être en route… Une jeune femme prend la relève du massage cardiaque, à son tour, en comptant à haute voix. Mais Odette ne se réveille toujours pas. Ils se relayent. Cinq minutes se sont écoulées, peut-être moins, peut-être plus, mais on entend une sirène d’ambulance, lointaine, qui se rapproche, petit à petit. C’est pour Odette, c’est sûr. Une maman serre ses enfants contre elle, pour les rassurer. Voici les secours : d’abord un jeune homme, qui se précipite vers Odette, et qui recommence un massage cardiaque, encore plus rythmé. Suivi aussitôt de deux secouristes, chargés de matériel. Sans panique, avec un grand sang froid, ils s’activent autour d’Odette. Des ordres sont donnés. Une poche est installée : on croit Odette sauvée. Mais le curé prend la parole à l’ambon :
« Chers amis, je pense qu’Odette vient de nous quitter sous nos yeux. Il reste encore une dizaine de minutes aux secours qui tentent de la réanimer, alors je vous invite chacun, silencieusement, à pendre un temps de prière personnelle pour elle. »
Emoi de l’assemblée, recueillie. Nous redoublons de prière : oh Seigneur, quelle est ta volonté ? Les mains jointes, la prière silencieuse se poursuit. Un appareil à ventouse est installé sur Odette, mais aux visages des secouristes, on dirait qu’Odette est bel et bien partie. Quelques minutes plus tard, le curé reprend la parole, la gorge serrée, tandis qu’Odette est emmenée sur un brancard :
« Mes chers amis, comme viennent de me le confirmer les secouristes, Odette vient de rejoindre le Seigneur sous nos yeux, en direct. Ils ont tout tenté, ils ont fait tout ce qu’ils ont pu, et je n’ai malheureusement pas pu vous proposer un chapelet à voix haute, pour ne pas les gêner dans leur travail et les ordres qu’ils devaient se donner. Mais nous sommes maintenant en union de prière avec Odette pendant cette messe que nous allons commencer pour elle, nous qui croyons à la vie après la mort, qui est en réalité la vie après la vie, à la vie éternelle, à la Résurrection, ce que nous célébrons chaque dimanche. »
Un bel hommage pour son beau témoignage
Dans son homélie, le prêtre reviendra sur l’évènement :« Odette est venue tous nous réveiller, ce matin. Quelle beau symbole de mourir au tout début d’une eucharistie dominicale ! On fait souvent des projets à 10 ans devant nous, mais on oublie cette parole de l’Evangile : « Nul ne connaît ni le jour, ni l’heure » (2). Oui, Dieu peut rappeler chacun de nous à Lui à tout moment. Il est bon, parfois, de se le rappeler, comme Odette le fait pour nous ce matin. Elle nous donne belle leçon, un beau témoignage, elle est partie pour l’Essentiel, au moment même de cet Essentiel qui est Jésus, en lui étant resté fidèle à travers ce rendez-vous de la messe du dimanche. C’est le bon ordre des priorités. Ne faites pas cela chaque dimanche, s’il vous plaît, mais réfléchissez-y, puisqu’Odette nous y pousse : quel est le sens de notre vie sur terre ? Odette n’a peut-être pas pu dire au-revoir à ses proches, mais elle est venue voir le Christ. Alors quand vous rentrerez chez vous, tout à l’heure, dites à vos proches que vous les aimez, même ceux qui sont loin de vous : appelez-les pour le leur dire. Faites-le en mémoire d’Odette, pour lui rendre hommage. De plus, la prochaine fois que vous feuilletterez les avis de décès dans le Nouvelliste, ne le faites pas avec un air détaché, comme si cela ne vous concernait pas, un verre à la main. Mais au contraire, pensez à toutes ces personnes, et leurs familles endeuillées. Priez pour elles. Et maintenant, prions aussi pour le repos de l’âme d’Odette, qui, cependant j’en suis sûr, est déjà auprès de Dieu : elle va assister à notre eucharistie depuis là-haut. Amen. »
Et vous, qu’en pensez-vous ? Si cet hommage vous touche, venez en parler avec nous sur le chat’ !
Notes
(1) En Suisse, avant de commencer l’apprentissage de la conduite, chacun doit suivre des cours de premiers secours, beaucoup poursuivent ensuite une formation pour devenir samaritain. Ils sont alors présents dans beaucoup d’évènements ou manifestations. Hasard incroyable, le quotidien suisse Le Nouvelliste titre le 6 novembre « Ces bénévoles qui sauvent des vies », avec tout un dossier sur le si beau dévouement ces samaritains, que nous remercions au passage.
(2) Evangile selon Saint Matthieu, chapitre 24, verset 36 :
Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais seulement le Père, et lui seul. »
Photo de Une par Christian Pfammatter
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